Dans l’histoire de la reconstruction de Goutelas l’utopie littéraire, l’utopie patrimoniale et l’utopie communautaire se sont superposées à la manière des facettes d’un kaléidoscope.
Parmi les Sept utopies que Paul Bouchet fait siennes dans son livre autobiographique éponyme, Goutelas figure en bonne place. Mais de façon surprenante, l’épopée de la restauration du château et ses suites sont narrées sous le titre « Beauté, mon beau souci », une expression que l’on peut juger quelque peu réductrice. Réductrice, car la volonté de redonner à une bâtisse en ruine son lustre d’antan n’est sans doute pas l’essentiel du projet qui se noue puis s’anime à Marcoux au cours des années 1960 et au-delà. On voudrait ici soutenir l’idée qu’à Goutelas plusieurs utopies différentes, parfois contradictoires, se sont superposées sans complètement se recouvrir, à la manière des facettes multiples d’un kaléidoscope.
La restitution d’un univers littéraire et humaniste constitue sans aucun doute une première utopie, très présente dans les témoignages qu’ont laissés les fondateurs du Centre culturel, Paul Bouchet en tête. Il faut dire que la demeure et le souvenir de Jean Papon s’y prêtent, auxquelles se sont ajoutées la formation juridique et la sensibilité artistique du noyau des pionniers de Goutelas. L’imaginaire de la Renaissance s’est perpétué au-delà de la première génération : les « Chemins de l’Astrée », les symboles ou les devises en différentes langues visibles et lisibles en plusieurs lieux du château témoignent de la force de cette utopie créatrice qui donne au lieu son identité.
Cet idéal pour partie intellectualiste entre cependant en contradiction – ou tout au moins en tension – avec une autre utopie présente à Goutelas dès la décennie 1960 et en phase avec la politique portée par Malraux : non pas véritablement l’utopie patrimoniale – car le patrimoine est bien réel à Goutelas – mais celle de la démocratisation de la culture. Rendre les chefs d’œuvre accessibles à tous s’est certes incarné un soir dans le concert de Duke Ellington et dans les lithographies que Bernard Cathelin fait accrocher au château, mais la dimension élitiste reste sans doute la plus forte dans l’idéal du bien commun qui anime l’histoire du Centre culturel.
Olivier Chatelan est maître de conférences en histoire contemporaine à l’Université Jean Moulin – Lyon 3. Il est membre du Laboratoire de recherche historique Rhône-Alpes (LARHRA).


