Comment le père Dumas a bousculé le paysage paroissial, joué un rôle prépondérant auprès des jeunes et est devenu pendant 6 ans le défenseur et le promoteur de l’« l'utopie Goutelas ».
En 1961, j'ai 14 ans, mes parents quittent le village de Marcoux pour Trelins. Mon père, paysan, abandonne la ferme pour entrer à l'usine Gauchon à Boën. Notre installation à Trelins nous rapproche de Goutelas.
Pour les habitants, le château, propriété de Noël Durand, paysan très apprécié, est alors à la fois une ruine et un lieu mythique : terrain de jeux pour les enfants, repaire pour les amoureux, terrain de chasse, lieu qui durant la dernière guerre servait d'abattoir pour les agriculteurs... Pour l'adolescente que je suis, cette ruine magique est d’abord un endroit tranquille pour flirter entre copains du village.
Le père Dumas est pour moi comme pour beaucoup d'autres jeunes du pays à l'origine de mon implication dans Goutelas. Pour moi, ce fut le début d'une aventure qui dure encore aujourd'hui.
Il a été le facilitateur du projet de rénovation, puisqu'il a permis la rencontre de Paul Bouchet et de Noël Durand, les deux fondateurs de Goutelas. C'est lui aussi qui, utilisant ses sermons au cours des messes et mettant en avant la générosité des « sauveurs de Goutelas » a appelé les chrétiens à participer à ce défi collectif et mobilisé les paysans pour qu'ils viennent travailler à la rénovation du château. Il a aussi incité les jeunes du pays, à travailler sur le chantier.
Il est difficile de retracer le parcours du personnage qu'était le père Dumas, tant dans le souvenir, le mythe se mêle à la réalité…
En novembre 1958, un nouveau curé, Pierre Dumas, arrive à la paroisse de Marcoux et de Trelins « muté » d'une autre paroisse parce qu'il « se serait trop occupé des jeunes » ! Il arrive, accompagné de sa mère, en remplacement du père Desbordes, un curé traditionnel.
On le disait avoir été résistant durant la guerre de 1939-1945, avec des séquelles suite à des maltraitances en prison.
Dès son arrivée, le père Dumas, comme nous l'appelions, bouscule le paysage. Issu d'une famille composée de 4 enfants, peu ordinaire - son père était coureur automobile -, il s'appuie sur sa famille pour ouvrir l'horizon des jeunes au-delà de leurs villages : sa mère se montre très disponible envers tous ceux qui se présentent à la cure ; son frère ainé, directeur de la chocolaterie Casino à St Etienne, reçoit les enfants de chœur chaque année à Noël ; sa sœur qui habite Paris accueille certains d'entre eux pour leur faire connaître la capitale ; son frère cadet, professeur d'anglais, donne des cours d'anglais aux collégiens qui le souhaitent, lors de ses visites à Marcoux.
Dans les deux paroisses, le père Dumas joue un rôle prépondérant dans l’animation de la jeunesse – garçons et filles – la mixité n'étant pas rentrée dans les mœurs. Il a une approche individuelle : repérer des leaders et les inciter à prendre des responsabilités. Très attentif aux jeunes issus de milieu ouvrier ou paysan qui poursuivent des études, il propose des appuis, achète des livres, repère et valorise des talents artistiques particuliers. Pour la musique, il met en place des cours d'harmonium. Passionné de théâtre, avec d'autres, il monte des spectacles, assure la mise en scène et met en lumière les meilleurs comédiens. Il incite à s'engager dans les mouvements JEC (Jeunesse étudiante chrétienne), sur le thème être un étudiant engagé, JAC (Jeunesse agricole catholique), se préoccuper du monde agricole, MRJC (Mouvement rural de la jeunesse chrétienne ), se questionner sur le monde rural...
Mais, si l'engagement individuel est important il doit, dans une optique chrétienne, profiter au collectif et pour ce faire le père Dumas s'y attelle, avec les jeunes, dès 1963. Des réveillons sont organisés avec musique, cotillons, jeux et repas, dans les salles des fêtes de Marcoux ou de Trelins, favorisant les rencontres mixtes ; des camps à vélo et mobylette pour les garçons (Auvergne, châteaux de la Loire, Alsace, Dordogne, Provence) ; des camps et voyages pour les filles (les Alpes, l’Alsace, la Côte d'Azur où il convainc le curé d'Antibes de transformer le jardin de la cure en camping). Les jeunes voyagent en train et la 2CV du père Dumas transporte le matériel. Il n'hésite pas à confier sa voiture à ceux qui ont le permis de conduire ce qui est un bonheur car à cette époque peu de jeunes gens possédaient une voiture.
Tout naturellement, quand « l'Utopie Goutelas » voit le jour, Pierre Dumas, qui connaît Paul Bouchet avec lequel il a fait ses études au Petit séminaire de Montbrison, qui a une grande admiration pour Noël Durand et une solide foi dans le projet, engage les jeunes – les garçons plus que les filles - à participer aux chantiers.
Le père Dumas était un bon animateur, il a relancé la fête patronale de Marcoux pour la St Christophe en juillet par une messe en pleine air avec bénédiction de tous les moyens de transports qui attirait la foule. S'il y avait une fête dans un village, il invitait des gens du pays ou des personnes extérieures à présenter un numéro : Paul Bouchet et d'autres se sont prêtés à ce jeu.
Bon communicant, il prenait beaucoup de photos et réalisait des montages de diapositives qu'il présentait à tous les habitants pendant les soirées d'hiver. En 1967 il quitte Marcoux pour une cure à Monthieu, un quartier de Saint Etienne, puis pour Apinac, et Usson en Forez. Il est toujours resté en lien avec des habitants de Marcoux et Trelins jusqu'à son décès le 16 février 1997.
Beaucoup l'ont regretté, d'autres moins, car il était très exigeant. Sa fonction et sa forte personnalité en faisaient un personnage d'une grande autorité. On peut affirmer, je crois, qu'il a marqué les mémoires et que c'est le seul curé du village dont tout le monde se souvient et parle encore.
Irène Guillot a participé à l'aventure Goutelas jusqu'à son entrée au lycée. Elle a exercé le métier d'assistante sociale pendant 10 ans puis différentes fonctions dans plusieurs associations lyonnaises et autres institutions nationales et européennes. En 2007, retraitée, elle s'engage à nouveau à Goutelas.


