Depuis longtemps le château de Goutelas attire photographes et amoureux à la recherche d’un cadre romantique. A côté des engagements culturels, artistiques ou scientifiques qui animent nombre de ses militants et des publics qui le fréquentent, il existe une dimension sensible dans l’attachement qu’on peut avoir au lieu. Elle est peut-être moins connue que d’autres, plus intime, mais elle lie aussi solidement au château certains des habitants des environs et de ses visiteurs que l’épopée du centre culturel.
A travers noces qui s’y sont déroulées et photographies de mariages, c’est cet attachement que j’ai voulu dévoiler. Ce texte fait suite à une petite étude que j’ai conduite entre 2015 et 2018. J’ai interrogé des photographes et des jeunes mariés, et avec des étudiants de l’université Jean Monnet nous avons dépouillé les archives de Goutelas ayant trait aux mariages qui s’y sont déroulés.
Goutelas est un lieu important dans l’histoire des idées humanistes, un lieu peut-être un peu mythique qui a su, des décennies durant, montrer que les utopies sociales du siècle dernier ont pu trouver, ici en Forez, des expressions bien réelles. Goutelas procède de ces « utopies réalisées » pour reprendre l’expression du sociologue Erik Olin Wright, dont il pressentait qu’elles représentent l’alternative aux échecs du socialisme scientifique et du capitalisme débridé. Ces utopies ont ceci d’exemplaire qu’elles s’ancrent dans les réalités d’un groupe de femmes et d’hommes, d’un territoire, qu’elles se fondent sur la collaboration et leur permettent de vivre mieux. Elles sont peut-être le cœur de l’identité partagée de Goutelas entre les salariés, les bénévoles et les visiteurs, le public des spectacles ou promeneurs du dimanche.
Les lieux d’utopies réalisées, ou « concrètes », sont nombreux, même s’ils sont souvent méconnus du public, plus attiré par les grands noms de l’architecture ou de l’art public. Une certaine discrétion sied à l’utopie mieux que la marchandisation médiatique et capitaliste. Le château de Goutelas n’est pas le plus beau des châteaux du département, les manifestations artistiques et scientifiques qui s’y déroulent ne sont pas les plus fréquentées. Quand on demande aux gens, membres de l’association, voisins ou simples usagers, ce qu’est Goutelas, les réponses hésitent souvent, ciblent d’abord la beauté du lieu et son histoire ; puis sont évoquées son activité de centre culturel et l’expérience sans cesse renouvelée d’hospitalité et d’accueil depuis bientôt 60 ans. En approfondissant la discussion, ou en enquêtant de manière plus systématique, un mot revient souvent : Goutelas est un lieu « ouvert », où l’on vient avec plaisir se promener, un lieu qu’on fait partager avec celles et ceux qu’on aime. Mais c’est aussi un « château », avec ce que cela connote d’attachement au patrimoine bâti et à la symbolique qui lui est associé.
Comment prendre la mesure de cet attachement populaire ? Comment, plus largement, peut-on percevoir, dans la durée, ce que le lieu représente pour les gens qui le fréquentent ? Les sociologues ont l’habitude de réaliser des enquêtes de public. Mais perçoit-on dans ces enquêtes la complexité des sentiments qui lient un lieu et ses pratiquants ? C’est une autre voie que j’ai prise. Partant de l’idée que Goutelas se pratique plus qu’il se visite, et que le lieu vivait avant son invention – comme on dit d’un archéologue qu’il invente un site de fouille en lui redonnant vie- l’idée m’est venue d’enquêter sur les mariages qui se sont déroulés au château.
Depuis longtemps le château a été fréquenté par les photographes et les jeunes mariés à la recherche de ruines romantiques où immortaliser leur union. Dès les années 1970, des couples ont souhaité fêter leur union dans ce château réhabilité. Les premiers faisaient partie de la famille, c’est-à-dire des restaurateurs bénévoles du lieu. Plus régulièrement, depuis la construction de la « Salle des devises » en 2006, le château accueille des fêtes de mariages. Les photos de Goutelas se comptent par milliers dans les books des photographes et les mémoires d’ordinateurs. Pour faire parler de Goutelas celles et ceux dont on entend rarement la voix, les mariages étaient une belle entrée. Même s’il m’a fallu un peu contrevenir aux préventions des gardiens du temple :
« Paul Bouchet, raconte un administrateur, avait dit en CA quelque chose comme ça, à l’époque de l’inauguration de la Salle des devises : "surtout pas de mariages". Qui dit mariage a à l’esprit serpentin et champagne (…). Mais sur le plan économique il faut rentabiliser. Alors tout doucement la famille untel, puis les amis des amis et, en fait, l’un dans l’autre il y jamais eu de souci. Et maintenant il faut remplir la salle tous les week end pendant la période estivale (…). On en riait après. Un jour Paul était là avec sa canne, il traversait la cour, et "qu’est-ce que c’est que ces gens ? ah c’est un mariage. J’espère qu’ils vont bien se comporter". Et puis les fêtes de famille. Les B. Le centenaire de la mère de… ; des repas des anciens (…), ils étaient émerveillés ! « Ah oui Goutelas, c’est les avocats de Lyon c’est pas pour nous les paysans" et puis quand ils sont venus ils étaient émerveillés. [1] »
Faisons donc comme si nous avions reçu l’absolution.
Préparer son mariage à Goutelas
Entre 2006, date du premier mariage facturé, et 2018, les archives indiquent que le château a accueilli 45 mariages, un anniversaire de mariage, trois réceptions familiales diverses et huit autres réceptions dont la nature n’est pas précisée [2]. Très majoritairement les mariages se tiennent au mois de juin (20), puis en septembre (12) et en aout (5). Aucun n’a lieu pendant la période hivernale. Quand on vient se marier à Goutelas, sont mis à disposition, depuis 2018 et la mise aux normes de sécurité du château, 23 des 27 chambres, les salles de réception du rez-de-chaussée du bâtiment principal, où sont pris les petits déjeuners les lendemains de noce, la salle des devises, inaugurée en 2002 qui peut accueillir jusqu’à 160 personnes ainsi que la salle dite du caveau dans laquelle peuvent être servis les apéritifs. A cela il faut bien sûr ajouter la jouissance des deux cours, de la « chapelle » et des espaces extérieurs. A la date de nos entretiens, le château était loué à un tarif forfaitaire de 2500€ pour la nuit et les petits déjeuners auquel s’ajoutait le coût des repas préparés sur place, à choisir entre trois menus, et diverses prestations comme la pièce montée, ou parfois le baby sitting. Sur l’ensemble des 12 années étudiées, le coût médian de la prestation s’élève à 8200 €, compte non tenu de prestations extérieures comme le DJ ou un groupe de musiciens, le photographe, la location de la robe de mariée et du costume pour le marié, des voitures de collection qui accompagnent de plus en en plus souvent les mariages [3]. Des extras peuvent s’ajouter à la prestation, comme l’apéritif ou le paiement d’une personne pour s’occuper des enfants pendant la noce. En outre le prestataire peut conseiller des groupes musicaux, un pâtissier, un fleuriste ou un photographe.
Incontournables sont les photographies ou les films, pour lesquels on peut faire appel à des professionnels, à la famille ou à des proches. Regarder régulièrement l’album ou les documents de son ordinateur revivifie la mémoire.
MR (regardant les photos) : vous avez pris la vieille bagnole, la 203 ?
Lui : Oui, par connaissance on a quelqu’un qui était mécanicien et qui a plein de vieilles voitures chez lui. Nous sommes venus de Saint-Victor (où ils habitent et se sont mariés à l’église) jusqu’à Goutelas. Il en avait d’autres ; une vieille Peugeot, une sorte de calèche… Nous sommes venus en cortège de voitures ; et ça c’est notre voiture, « just married » (montrant la photo) et là c’est la voiture balai (montrant un balai est fixé à l’arrière de la voiture).
Elle : ça c’est grandiose, avec la grande avenue, entre les arbres. On est arrivé les premiers, on a vu les autres arriver derrière, c’était grandiose. Les gens nous ont dit que c’était vachement beau. On voyait toutes les voitures qui montaient.
La plupart des personnes que nous avons rencontrées ou dont on nous a parlé connaissaient Goutelas avant de se marier ou en avaient entendu parler. Certaines ont attendu un an, voire deux ans car elles ne voulaient pour rien au monde se marier ailleurs. La prise de contact suit un ordre immuable : après un ou plusieurs mails ou un coup de téléphone, rendez-vous est pris avec le directeur [4] pour une visite des lieux. Celle-ci comprend un tour des chambres et des pièces mises à disposition des clients, un historique rapide du château intégrant l’histoire de sa rénovation [5] , et les premières discussions sur les prestations offertes. La règle est de favoriser les producteurs locaux pour le menu, mais aussi pour des prestations complémentaires. Ainsi Goutelas travaille avec trois viticulteurs de l’AOC Coteaux du Forez, ce qui n’est pas toujours très aisé à faire accepter :
« Ils nous ont fait choisir entre plusieurs vins, ça leur tenait à cœur… j’ai le souvenir de mon grand-père qui se servait en vrac à la cave de Trelins qu’il mettait dans des bouteilles de Badoit en plastique, le premier prix, c’était infect… On a alors négocié. Ils nous ont donné pas mal de bouteilles (le château). Il y avait deux trois viticulteurs. Ils travaillent sur les arômes. Autour du même cépage ».
L’une des règles à Goutelas, qui est aussi souvent un point essentiel pour les commanditaires, est de favoriser l’économie locale [6]:
« La cerise sur le gâteau c’était les produits locaux. C’est très important pour nous : brique du Forez, fourme et autres fromages ».
Point important que toutes et tous ont évoqué spontanément : la qualité de l’accueil qui ne s’est pas démentie, de la première visite jusqu’au départ :
« Collange a été super magnanime (dans la discussion), il acceptait tout ce qu’on voulait tant que ça ne touchait pas la sécurité. On a eu la sensation de se laisser porter. On a fait confiance et on a passé un super moment. »
Se marier au « château de la princesse » [7]
Mais le mariage, c’est plus que des statistiques, qu’une prestation économique, qu’une institution considérée garante de la stabilité des sociétés… Le mariage est un événement, l’événement d’une vie pour certaines et certains de nos interviewés. C’est une longue cérémonie qui a ses servants, ses rôles principaux et secondaires, son ou ses metteurs en scène, ses objets liturgiques ou symboliques, ses héroïnes et ses héros. Il est scandé par une suite de rituels qui seront autant de chapitres dans le récit qui en sera fait. Le film, le site web, l’album photo ou plus banalement les documents images entassés dans la mémoire de l’ordinateur sont là comme les fils directeurs du récit de ce moment exceptionnel qu’on se remémorera en couple ou en famille ; ou devant l’ethnographe.
Le récit fait et répété de cette journée, la reconnaissance des convives et le souvenir des lieux créent la vie sociale, autant que le rituel et la cérémonie. L’anthropologue britannique Alfred Gell nous dit que ce récit est à nos sociétés modernes ce que la récitation des généalogies est aux sociétés de la tradition : il fonde les rapports entre les gens. Si nos sociétés médiatiques et marchandes nous vendent le coup de foudre, si les émotions se marchandisent comme des biens de consommation courants chez les wedding planners, l’amour peut aussi s’approfondir dans le partage de l’intimité. Bien des couples qui se sont mariés à Goutelas avaient connu de longues années de vie commune avant de s’unir devant le maire ou le curé.
On ne se marie plus pour plaire aux parents, ou par conformisme social. On ne trouve plus dans les mariages locaux ces situations scabreuses où le marié arrivait saoul devant l’autel, comme le rapporte le père curé de Trelins aux futurs épousés. Le mariage vient souvent après une longue maturation, et il n’est pas rare que les enfants du couple aient des places d’honneur durant la cérémonie. Le mariage devient l’acmé d’une subjectivité partagée à deux. Pendant le sacrement, devant le prêtre, il est un engagement réfléchi pris devant Dieu et le monde.
Elle : « On s’est marié en 2014 à la mairie de Trelins avec seulement nos enfants, nos parents et les témoins ; et en 2015 on s’est marié à Goutelas. (…). Pour moi la fête c’est la célébration religieuse. (…). On a fait un mariage religieux à l’église de Trelins. C’était pour le 500ème anniversaire de l’église. On est allé en voiture jusqu’au château. On avait loué un combi Volkswagen. On était tous dedans avec les enfants. On aime bien tout ce qui est un peu rock n roll ; la culture surf etc. (…)
Moi en fait je n’avais pas envie du mariage ; et il y a quelques années j’ai ressenti le besoin de me rapprocher de la religion chrétienne. On était déjà pacsés. Dans le mariage pour moi c’est la religion qui comptait »
Si le mariage religieux retrouve une certaine faveur, c’est du moins ce qui nous a été dit à plusieurs reprises, c’est pour ce qu’il signifie d’accompagnement spirituel d’une vie nouvelle qui commence – même si l’on vit ensemble depuis des années. Si l’on n’est pas vraiment pratiquant, il reste un symbole qui garde son efficacité pour signifier un repère de stabilité dans un monde qui change trop vite et qui effraie. Même ceux qui ne sont ni croyants, ni baptisés tiennent à la symbolique du mariage que l’union civile remplit souvent mal.
« Monsieur M (père du marié) : C’est lui qui a voulu se marier ici. Il fallait un lieu un plu grand, et puis il a parlé de Goutelas. Il y a eu un désistement. Cette année en juin (2015). (…). Ils ont aussi fait un voyage de noce, mais ils avaient des années de vie commune.
Ils ont tout pris en main On a été très étonné, nous on marchait aux anciennes pratiques, c’est les parents qui s’occupaient des formalités, de l’organisation, des festivités. Et on n’avait jamais vu de cérémonie comme ça. D’abord juste le passage à la mairie, ensuite ils ont fait une cérémonie qu’on va dire privée, je sais pas comment le décrire euh…
Elle : beh… c’est une manière de dire leurs vœux mais en reprenant leur histoire, ce qui était important dans leur vie commune… et qui fait que maintenant ils avaient envie de se marier. Avec des textes, des musiques…
Lui : ils ont inventé une cérémonie, avec leurs amis…. Il n’y avait de rituel religieux, mais il y avait un officiant, une de leur amies, Marie Pierre ; elle était en arrière plan, mais c’est elle qui coordonnait, la musique, les temps de parole….
MR : Comme un maitre des cérémonies ?
Elle : oui, c’est ça
Lui : Apparemment ça se fait maintenant.
Elle : Tout le monde a été enchanté et tous ont trouvé super cette cérémonie.
Lui : ça m’a beaucoup ému et j’ai trouvé que ça mettait quand même du symbolique. C’est la difficulté quand il n’y a pas la religion, et bien c’est difficile de se passer du symbolique. J’ai vu l’enterrement de mon oncle qui était communiste, on l’a mis dans un trou, et on a rempli le trou…. C’était dur !
Elle : quand il y a pas le rituel religieux dans les enterrements, ça devient pathos… les gens s’embourbent dans les témoignages… Là il n’y avait pas le cérémoniel mais il y avait beaucoup d’émotions. Il y a eu quelques petites larmes, mais c’était pas pour faire pleurer (…)
Lui : Ca se passait sur la pelouse, au pied de la petite tour.
Elle : C’était très beau, parce qu’il y avait le paysage derrière. Il y avait de très beaux fauteuils où ils étaient assis »
Goutelas, participe pleinement à la symbolique du mariage : C’est un lieu qui inspire. « La beauté du lieu ne devait rien au luxe et à l’ostentation, mais à une harmonie simple des proportions, à une chaleureuse saveur rustique, et à sa situation au flanc d’une colline boisée dominant le pays d’Astrée où verdoient les rives du "doulx coulant Lignon" ».
Ces mots de Paul Bouchet expriment bien les qualités de ce paysage de campagne et la sensation qu’on ressent en y entrant. Ils n’étaient certainement pas destinés à convaincre les jeunes couples de venir célébrer leur union en ces lieux, mais les propos qui m’ont été tenus sonnent souvent en écho des siens, le lyrisme en moins peut-être : « Ce château, c’est le nôtre » ; ou encore « Je les ai appelés et le lieu nous a complètement conquis. Plusieurs choses : le cadre avec la vue sur la plaine (…)».
Le lien avec le roman de l’Astrée est généralement méconnu, cependant les jeunes couples sont attachés au château et à son site qu’ils associeront à leur histoire d’amour. Ce lien particulier se renforce au gré des visites qui seront faites à l’occasion de promenades, ou en participant aux actions artistiques et aux spectacles qui sont proposés par le centre culturel :
Elle : « moi je suis plutôt théâtre. Et on continue (à aller à Goutelas), on a le programme culturel pour l’année.
Lui : « ce qui est super est qu’on peut y retourner, alors que dans une salle de mariage lambda, si on ne loue pas il n’y a rien à faire ».
Les émotions fortes de la noce sont revécues dans les photographies. Il est dès lors très important que le photographe sache saisir les moments importants, ceux qui resteront dans les mémoires.
Je pense que c'est ce qui fait vraiment le souvenir en fait (les photographies qui ont su saisir les émotions du moment). (…). J’ai pas par habitude de faire poser les gens, ça me dérange, déjà ! Pour moi, c'est pas naturel. (…) Il y'a des gens qui veulent poser et être super beaux. Moi, je dis tout de suite aux gens que ce n'est pas ça que je recherche, c'est plutôt l'émotion, l'instant présent (…). Mon but est que les gens m'oublient et qu'ils soient eux-mêmes et profitent du moment. Je pense que les gens me choisissent pour ça. Je prends des photos très naturelles.
C’est une propriété particulière du site de Goutelas d’être le réceptacle paysager de l’affectivité des nouveaux mariés. En cela, le Goutelas d’aujourd’hui s’inscrit bien dans la tradition du roman de l’Astrée qui en faisait la demeure du druide Adamas. A l’occasion de la noce une relation quasi charnelle se noue entre le couple et le lieu qui participe à sa singularité et donne sa couleur au récit qu’on fait de la fête du mariage.
Elle : « On avait besoin d’un lieu plus authentique (qu’une salle des fêtes) et c’était très grand, très beau, un peu de l’ancien avec le moderne ».
Lui : ce qui nous a vraiment plu, c’est cette dualité entre le moderne et le traditionnel ; et il y a des activités culturelles avant tout, c’est un lieu qui vivait en dehors des périodes de fêtes ;
Elle : « il y avait une histoire dans ce lieu ».
Un dernier point mérite d’être souligné, qui transparait dans tous les témoignages, et parfois de manière très explicite : outre la qualité et la spécificité de l’accueil, tout au long des échanges avec le personnel de Goutelas, c’est le sentiment qu’en y célébrant son mariage, on participe en quelque sorte à une œuvre collective :
Lui : Une chose a compté, c’est la rencontre avec Collange qui est un homme super, serviable, très gentil (…). On a compris qu’il ne le ferait pas que pour l’argent. (…). On en a rencontré qui faisaient cela à la chaine (…) !
Lui : et c’est une association qui gère le lieu et on s’est dit « Wouahou, super ! »
Elle : on était content de pouvoir y apporter un peu, une aide financière, de participer à ça, à faire vivre le lieu.
Par son histoire ancienne et sa revitalisation patiemment construite depuis bientôt soixante ans, fondée sur une utopie portée haut par Paul Bouchet qui lui a donné une dimension qu’on pourrait qualifiée de mythique [8], par la beauté du site qui surplombe les vignes, la plaine du Forez et au loin les montagnes du matin, par ses liens avec le roman de l’Astrée dont le promeneur découvre des bribes disséminées le long des sentiers au-dessus du château, par la proximité historique et géographique – et en même temps la distance symbolique- avec la Bâtie d’Urfé, Goutelas est le lieu romantique par excellence où l’on a envie de se marier : « C’est ici et nulle part ailleurs que je voulais me marier ».
Bien sûr, peu nombreux, si l’on faisait des statistiques, sont les jeunes couples de la région qui décident de se marier ici. Un travail d’enquête poussé serait nécessaire pour évaluer sérieusement l’attachement des voisins, plus ou moins lointains, au lieu et à ce qu’il représente. Des témoignages existent d’anciens adhérents qui ont pris leurs distances, souvent rebutés par une ambiance ou une programmation qu’ils ont jugée trop élitiste à un moment donné, ou trop éloignée des préoccupations de la population. Mais de nouvelles personnes viennent aussi à l’occasion de leurs noces ou de celles de proches, et parfois elles reviennent, renouvelant le « public » du centre culturel.
Notes de bas de page
[1] Nous verrons plus loin que ces fêtes de famille sont restées exceptionnelles[2] Il est probable qu’il s’agisse de mariage pour au moins 3 ou 4 d’entre eux
[3] Depuis le 1er janvier 2018 un nouveau modèle économique a été mis en place. La privatisation du château pour l’ensemble du week-end est se monte à 5500 euros, compte non tenu du traiteur pour lequel il faut faire appel à des prestataires extérieurs
[4] A l’époque des entretiens il s’agissait de Bruno Collange
[5] Signalons que nos interviewés, rencontrés moins d’un an après leur mariage, n’ont généralement gardé que de souvenirs très imprécis de cette histoire. La seule personne qui en a un souvenir précis est justement celle qui avait le moins d’attachement avec la région
[6] La prestation ne comprend cependant pas le champagne.
[7] L’expression est celle de la fille d’une de nos interviewées
[8] Dimension mythique que tous ne partagent pas, particulièrement certains habitants des environs qui voient en elle une représentation relevant plus des élites culturelles qui fréquentent le lieu que des habitants.
Références bibliographiques
• Paul Bouchet, Mes sept utopies, Paris, Les éditions de l’Atelier, 2010
• Maurice Damon, Goutelas par lui-même. Mémoire intime d’une renaissance, Saint-Etienne, Publications de l’Université de Saint-Etienne, 2007
• Alfred Gell, « Amour, connaissance et dissimulation », Terrain, n° 27, 1996, pp. 5-14.
• Erik Olin Wright, Utopies réelles, Paris, La Découverte, 2017
Nos remerciements vont aux familles Pongy, Chapuis, Borisov, M. ainsi qu’à Maurice Damon, Elie Grillet, Irène Guyot, Sarah Wasserstrom, Gautier Grangeon, Bruno Collange, Stéphanie Snuggs, Béatrice Cara.
Michel Rautenberg est anthropologue, professeur de sociologie à l’Université Jean Monnet de Saint-Etienne et chercheur au Centre Max Weber (CNRS).
Ses travaux portent sur l’habitat, le patrimoine culturel, la mémoire collective et les imaginaires sociaux


