Le CICI (Congrès international du cinéma indépendant) qui fit halte à Goutelas, pour trois éditions, en 1968, 1969 et 1974 est riche d'une histoire qui remonte aux origines du cinéma. Créée en septembre 1929 à la cinémathèque de Lausanne, cette manifestation s'intègre dans la dynamique des ciné-clubs qui a accompagné le cinéma depuis sa quasi-origine et qui chercha à lui donner une autre existence que celle que voulaient lui conférer l’industrie et le commerce.
Parmi les premières activités culturelles proposées à Goutelas, le cinéma a particulièrement marqué les mémoires. Josette Païs se souvient de l'émotion d'une dame qui y fit la découverte de l'image animée, rejouant l'émerveillement des premiers spectateurs du cinématographe des frères Lumière.
En 1968, de grandes terrasses sont aménagées au-dessus du château pour accueillir les campeurs et festivaliers, une salle de cinéma flambant neuve est inaugurée : Goutelas s'apprête à accueillir la 8ème édition du CICI (Congrès international du cinéma indépendant). 900 kilos de bobines attendent d'être projetées, comme le précise malicieusement l'organisateur Bernard Chardère.
Cette manifestation qui fit halte à Goutelas, pour trois éditions, est riche d'une histoire qui remonte aux origines du cinéma. Créée en septembre 1929, à la cinémathèque de Lausanne, elle s'intègre dans la dynamique des ciné-clubs qui accompagne le cinéma depuis sa quasi-origine. Dès le début des années 20, des groupes de passionnés reconnaissent le cinéma comme un art. Cela n'a alors rien d'évident, car il est encore considéré au début du siècle comme un divertissement de foire. Les ciné-clubs sont donc des lieux fondateurs où se construit une réflexion sur l'esthétique et où se forge un cinéma d'avant-garde.
Cependant, ces intellectuels qui s’enthousiasment pour ce nouvel art sont aussi sensibles aux enjeux politiques de leur temps. L’URSS est née en 1917. Les œuvres fortes qui y sont créées dans des années 20 sont considérées comme subversives et ne reçoivent pas de visa d'exploitation en France. L'exemple le plus célèbre est le film "Le cuirassé Potemkine" de Sergueï Eisenstein. Sorti en en 1925, il est interdit par la censure jusqu'en 1953. La première projection a lieu le 12 novembre 1926 sous l'égide du Ciné-club de France. Il sera ensuite régulièrement diffusé dans le réseau des ciné-clubs. Certaines projections rassemblent jusqu'à 4000 personnes. Le mouvement des ciné-clubs est donc porté par une double finalité : tout à la fois établir le cinéma comme un art qui doit définir sa propre esthétique, et défendre sa dimension politique en lui donnant une inscription sociale.
En 1929, une première fédération internationale se met en place, rassemblant des ciné-clubs allemands, anglais, états-uniens, japonais. C'est dans ce contexte que naît en Suisse, le premier Congrès International du Cinéma Indépendant. Il réunit des cinéastes, théoriciens et critiques « pour voir des films qui ne circulaient pas dans les réseaux commerciaux et réfléchir à une organisation pour le cinéma indépendant. Comment produire des films soustraits aux contraintes du marché ? Comment lutter contre la censure ? Comment mobiliser les spectateurs ?». Parmi la trentaine de participants, on note la présence de Sergueï Eisenstein, le réalisateur du cuirassé Potemkine, et de Hans Richter, figure marquante du cinéma d'avant-garde. Un des objectifs de ce premier congrès est de créer une coopérative internationale du film indépendant, pour produire des films dont la diffusion dans le réseau des ciné-clubs garantira l’indépendance des lois du marché. Le début de la crise financière, l’entrée en scène du film sonore et l'avènement d’un cinéma nettement plus coûteux empêcheront la réalisation du projet.
1929 est aussi un moment où le basculement vers le sonore devient inéluctable et où naît la conscience que le cinéma a une histoire. Ce regard cinéphile tourné vers le passé nourrit la création des cinémathèques, qui se donnent comme mission de préserver les copies et de contribuer à l'écriture de cette courte, mais déjà riche, histoire. Dès lors, les cinémathèques accompagnent le mouvement des ciné-clubs.
Le second CICI a lieu à la cinémathèque de Bruxelles en 1930, puis s'interrompt. Il réapparaît en 1963 à Lausanne, avec la collaboration de la cinémathèque suisse, sous l'impulsion de la revue Premier plan et de son directeur Bernard Chardère, puis à Lyon en 1964. Les films sont choisis dans les archives des cinémathèques et dans les catalogues des fédérations de ciné-clubs.
Un ciné-club est créé la même année au château, à la suite du CICI. Les Lyonnais impliqués dans la rénovation du château transportent les bobines chaque week-end entre Lyon et Goutelas. La programmation est diversifiée, on y trouve aussi bien des films du patrimoine comme L'ange bleu (Josef Von Sternberg, 1930) ou La prisonnière du désert (John Ford, 1956), que des films plus engagés comme Les camarades (Mario Monicelli, 1963) sur les conditions de travail, ou Les inconnus de la terre (Mario Ruspoli, 1961), sur l'évolution du monde paysan.
En accueillant le CICI, Goutelas s'inscrit donc dans un vaste mouvement qui dès l'origine, chercha à donner au cinéma, une autre existence que celle que voulaient lui conférer l’industrie et le commerce. Cependant, ce CICI qui renaît de ses cendres dans les années 60 n'est pas tout à fait le même que l'original. Certes la programmation peut apparaître subversive comme le montrent certaines réactions de la presse, «les bolcheviks au pays de l'Astrée ». Cependant, le regard est alors entièrement tourné vers le passé, sans perspective sur les avant-gardes, et sans cet élan qui, s'appuyant sur l'immense réseau de diffusion parallèle que furent les ciné-clubs, espérait donner naissance à un nouveau cinéma affranchi de la censure et des lois du marché. La programmation l'année suivante, sur le cinéma populaire français des années 30 à 40, confirme cette tendance, tout comme celle de la 16ème édition, Notre après-guerre, qui se tient à nouveau au château en juillet 1974.
C'est donc Bernard Chardère, historien et critique de cinéma, bien connu à Lyon pour avoir été à l'origine de la sauvegarde du Château Lumière, qui organise cette 8ème édition à Goutelas. C'est un événement d'envergure nationale. Sont présentées des œuvres rarissimes, réalisées entre 1919 et 1939, certaines jamais projetées en France. Les 54 copies 35mm sont prêtées par la cinémathèque de Bruxelles qui les a fait réaliser à partir du fonds de la cinémathèque russe. Un long article du Monde souligne la densité du programme. « C'est une fenêtre exceptionnelle qui ouvre sur une cinématographie d'une extrême vitalité et diversifiée, dont nous ne connaissons que quelques auteurs... »
Le ciné-club de Goutelas perd peu à peu son élan au fil des années 1970, l'ouverture d'un cinéma à Boën, le développement de la télévision rendant cette activité moins nécessaire. Il est à noter qu'il en fut de même à cette période pour l'ensemble du mouvement des ciné-clubs.
L'exemple du cinéma à Goutelas, comme celui du théâtre et des arts plastiques à Sail-sous-Couzan, révèle les liens vivants qui se tissèrent entre les habitants, les œuvres et des artistes, et leur foi dans la vertu émancipatrice de l'art. Il montre aussi, comment, dans les années1970, s'opérait pourtant une mutation à bas bruit, qui préparait un tout autre rapport à la culture, qui se cristallisa dans les années 80 et s'impose encore à nous aujourd'hui.
Béatrice Dubell est réalisatrice et directrice artistique de l'association Grand ensemble- atelier de cinéma populaire, qui est co-productrice du webdocumentaire. A ce titre, elle a conduit la recherche- action dont il est le fruit, et réalisé les 3 courts-métrages Créer, Ancrer, Essaimer.


