Comment l’histoire de Goutelas a été nourrie par des valeurs et l’état d’esprit de la la JAC (Jeunesse agricole chrétienne).
Le monde agricole joue un rôle fondamental dans l’histoire de Goutelas. À la fois environnement immédiat du château et acteur essentiel du chantier de restauration, ce monde agricole s’est forgé à Marcoux un outil de réflexion au service du développement rural. Or, plusieurs membres de l’équipe des fondateurs autour de Paul Bouchet ont d’abord milité au sein de la Jeunesse agricole catholique (JAC), fondée en 1929. C’est le cas notamment de Dominique Chèze, Paul Verdier et Noël Durand, ou d’agriculteurs qui ont laissé un témoignage écrit de leurs engagements : Robert Duclos (De la pioche à Internet. Parcours d’un paysan forézien, 2007) et Jean Chavaren (La force de convaincre, la passion d’agir. Mémoire d’un parcours, 2007). Qu’est-ce que le mouvement jaciste dans les années 1950 ? En quoi l’histoire de Goutelas s’en est-elle nourrie ?
La JAC dans laquelle se sont formés les pionniers de Goutelas développe une vision de l’Église et du monde qui n’est plus exactement celle de ses débuts dans l’entre-deux-guerres. Alors que l’Action catholique spécialisée, sur le modèle de la Jeunesse ouvrière chrétienne (JOC), était jadis le fer de lance d’une reconquête religieuse des campagnes en captant une partie des jeunes gens qui avait fait la force des œuvres et des patronages paroissiaux (avec soirées récréatives, séances de cinéma, conférences dans les villages), cette volonté de « refaire chrétiens nos frères » se traduit, paradoxalement, par un fort investissement dans la modernisation du monde agricole. Les aumôniers gardent un rôle prépondérant dans l’animation, mais les jeunes – garçons et filles – sont incités à prendre leurs responsabilités, en particulier dans le monde professionnel. Les questions abordées dans le mouvement trouvent leur origine dans la méthode « voir, juger, agir » qui développe la pratique des enquêtes, l’introspection, l’analyse de situations concrètes dans le village ou le canton, et surtout l’engagement. La grande interrogation est celle de l’avenir du monde agricole, qu’il faut promouvoir pour limiter l’exode rural et lui assurer toute sa place dans la société d’après-guerre alors en plein bouleversement (les Trente Glorieuses). La JAC fait résolument le choix du développement économique en prenant le tournant de la technique et de la modernisation : elle se trouve donc, en Forez comme ailleurs, fortement associée à la transformation des campagnes. La fierté du métier, le désir de changement pour une société plus juste, la volonté de concilier foi et développement économique par des projets collectifs animent toute une génération de jeunes agriculteurs qui souhaitent se faire entendre dans les instances représentatives du monde paysan.
Beaucoup de dirigeants locaux de la JAC s’investissent alors dans le syndicalisme agricole, par le biais surtout de la section des jeunes agriculteurs de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA), puis au sein du Centre national des Jeunes agriculteurs (CNJA) devenu autonome en 1954. Dans la Loire, Robert Duclos participe avec Dominique Chèze et Paul Verdier à la fondation d’une section jeune au sein de la FDSEA en 1957, avant de prendre des fonctions à l’échelon régional – comme d’autres jacistes dans de nombreux départements – en animant dans le Sud-Est les travaux de la commission économique de la CNJA. C’est aussi le temps des Centres d’étude technique agricole (CETA) destinés à partager les expériences pour accroître la rentabilité des exploitations. Robert Duclos l’évoque dans son témoignage.
Lorsque naît le projet Goutelas, la JAC connaît au plan national un moment de crise. Elle se mue progressivement en un Mouvement rural de la jeunesse chrétienne (MRJC), moins centré sur la profession agricole. Mais localement – et c’est le cas dans le Forez – les initiatives se multiplient autour des coopératives soutenues par de jeunes agriculteurs issus de la JAC pour concilier développement économique, maintien de l’exploitation individuelle et projet collectif. Cette course vers le progrès s’accompagne cependant de tensions. Si la JAC a accompagné la mutation réussie de l’agriculture française en faisant émerger des cadres et des responsables (Michel Debatisse en est le symbole à l’échelle nationale), les paysans paient au prix fort une sélection impitoyable qui se traduit par la disparition des exploitations les moins rentables, ou pour le moins par des difficultés financières, y compris chez ceux qui avaient milité pour le remembrement, la mécanisation et la chimisation. De nombreux paysans issus de la JAC quittent alors la FNSEA pour participer à des luttes politiques (Larzac) ou pour se rapprocher de mouvements d’inspiration socialiste qui développent une analyse de type marxiste sur la situation de l’agriculture en France ou dans le tiers-monde. Goutelas devient une caisse de résonance de ces débats pour le Forez.
La JAC a donc représenté localement, comme ailleurs dans la France rurale, une participation de l’Église à la promotion de militants et de cadres paysans, lesquels ont parfois pris leurs distances ensuite avec l’institution ecclésiale.
Olivier Chatelan est maître de conférences en histoire contemporaine à l’Université Jean Moulin – Lyon 3. Il est membre du Laboratoire de recherche historique Rhône-Alpes (LARHRA).


