La demeure de Jean Papon, grand juge et humaniste forézien

Jean Papon, le bâtisseur de Goutelas, lieutenant général du bailliage de Forez, maître des requêtes ordinaires de la reine, aima aussi employer les heures non consommées par la pratique « à lire et escrire en droit, et aux bonnes lettres ».

Portrait Jean Papon
Portrait Jean Papon

Né au Crozet, près de Roanne, en 1507, formé au droit peut-être à l’université de Toulouse, Jean Papon fut nommé vers 1545 lieutenant général du bailliage de Forez, grâce à la protection d’Antoine de Lévis et de Jacques d’Albon. C’est en 1558 qu’il se rendit acquéreur de Goutelas, une ancienne maison forte située à quelques encablures du château de la Bâtie d’Urfé. Il engagea une dépense de plus de 10 000 écus pour donner un visage nouveau à cette bâtisse, et le château devient l’une des plus charmantes demeures « Renaissance » de la plaine forézienne. Jean Papon vécut bientôt autant à Goutelas qu’à Montbrison où il avait sa demeure principale et il y mourut le 6 novembre 1590.

Jusqu’en 1585, Jean Papon se consacra à son office de lieutenant général du bailliage de Forez, proche de Claude, Jacques puis enfin Anne d’Urfé qu’il fut régulièrement appelé à suppléer dans leurs diverses fonctions de baillis. Amené à représenter sa région aux états généraux d’Orléans en 1560, de Montbrison en 1574 et 1585, il s’engagea aussi dans la lutte contre les protestants. Ayant obtenu la qualité de maître des requêtes ordinaires de la reine, anobli par lettres royaux en septembre 1578, il aimait aussi, et peut-être surtout, employer les heures non consommées par la pratique « à lire et escrire en droit, et aux bonnes lettres ». De ces travaux nous restent divers ouvrages : un commentaire latin sur les coutumes du Bourbonnais (J. de Tournes, Lyon, 1550), un autre sur le sixième précepte du décalogue (In sextum decalogi praeceptum, non moechaberis, J. de Tournes, Lyon, 1552), une traduction de morceaux choisis de Démosthène et Cicéron (Rapport des deux princes d’éloquence, grecque et latine, Desmosthenes et Cicéron, à la traduction d’aucunes de leurs philippicques, M. Roy et L. Pesnot, Lyon, 1554), le Recueil d’arrests notables des cours souveraines de France (Lyon, J. de Tournes, 1556) ainsi qu’une importante trilogie, le Premier des trois notaires (Lyon, J. de Tournes, 1568), le Trias judiciel du second notaire (Lyon, J. de Tournes, 1575) puis les Secrets du dernier et troisième notaire (Lyon, J. de Tournes, 1576). Ce sont ces dernières œuvres qui assurent encore aujourd’hui à Jean Papon une juste notoriété.

Ayant fait l’objet de huit éditions revues jusqu’à 1596 par l’auteur lui-même, le Recueil d’arrests notables a bénéficié jusqu’au XVIIIe siècle d’une extraordinaire fortune éditoriale. Repris et réutilisé sans cesse, il reste l’un des plus connus des recueils d’arrêts d’Ancien Régime. Il faut dire que, résultant des travaux conduits par Jean Papon dans le cadre des fonctions qu’il a exercées après 1545 au bailliage de Forez, inspiré aussi par les œuvres de Jean Le Coq, Guy Pape, Nicolas Bohier, Jean Du Luc, Pierre Rebuffi, Jean Imbert ou Charles Du Moulin, c’est une jurisprudence d’envergure « nationale » qu’il réunit. Avec l’ambition de mettre en exergue des jurisprudences concordantes, des solutions univoques pour l’ensemble du royaume, pour suivre des idéaux de rationalisation et de systématisation de droit qui étaient alors chers aux juristes humanistes. Dans les trois Notaires, Jean Papon se montre en outre préoccupé par deux autres questions essentielles à cet important mouvement intellectuel  : le projet cicéronien de rédiger en art l’ensemble du droit, jus in artem redigere, ainsi que la mise en perspective historique du droit. Ainsi les œuvres de Jean Papon, écrites en langue française, ont-elles contribué de manière essentielle à la diffusion des enjeux historicistes et systématiques portés par l’humanisme juridique. C’est dire l’importance de la réhabilitation de son auteur, qu’Honoré d’Urfé avait, non sans raisons, immortalisé en son temps sous les traits du grand druide Adamas dans L’Astrée.

Professeure d’histoire du droit à l’université de Rouen et membre de l’Institut universitaire de France (promotion 2014), Géraldine Cazals travaille sur l’histoire de la pensée juridique. Spécialiste de la Renaissance, elle s’intéresse tout particulièrement aux formes d’expression prises par la pensée juridique de la fin du Moyen Âge à la fin de l’Ancien Régime, telle l’arrestographie, ainsi qu’à l’historiographie de l’histoire du droit depuis le XIXe siècle, notamment eu égard à l’importance de la Renaissance dans la réflexion des juristes contemporains.

 

Références bibliographiques :

C. Longeon, « Jean Papon », dans Les écrivains foréziens du xvie siècle. Répertoire bio-bibliographique, Saint-Étienne, 1970, p. 35-58 ;
É. Berriot-Salvadore, « L’illustration d’une bourgeoise sagesse : les arrêts notables de Jean Papon », dans Études sur Étienne Dolet publiées à la mémoire de C. Longeon, Genève, 1993, p. 203-211 ;
R. Martinage, « Jean Papon (1507-1590), le mal aimé ? », dans Figures de justice, Lille, 2004, p. 247-257 ;
S. Geonget, « L’arrêt notable entre droit et littérature, les choix de Jean Papon », dans L’écriture des juristes, éd. L. Giavarini, Paris, 2010, p. 205-222 ;
G. Cazals, « Jean Papon humaniste. La mise en ordre du droit et les enjeux du renouvellement de la pensée juridique moderne », dans Droit et humanisme. Autour de Jean Papon, juriste forézien, éd. M. Delmas-mArty, A. Jeammaud, O. Leclerc, Paris, 2015, p. 15-39 ;
G. Cazals, « Le Recueil d’arrests notables. Jean Papon (1507-1590) », dans Books that made the law, éd. S. Dauchy, G. Martyn, A. Musson, H. Pihlajamäki, A. Wijffels, Springer, 2016, p. 107-110.

Professeure d’histoire du droit à l’université de Rouen et membre de l’Institut universitaire de France (promotion 2014), Géraldine Cazals travaille sur l’histoire de la pensée juridique. Spécialiste de la Renaissance, elle s’intéresse tout particulièrement aux formes d’expression prises par la pensée juridique de la fin du Moyen Âge à la fin de l’Ancien Régime, telle l’arrestographie, ainsi qu’à l’historiographie de l’histoire du droit depuis le XIXe siècle, notamment eu égard à l’importance de la Renaissance dans la réflexion des juristes contemporains.