Dans un grand nombre de systèmes juridiques, les choix de politique économique sont
progressivement consacrés dans des normes constitutionnelles ou à tout le moins
supra-législatives, de sorte qu’ils bénéficient, à ce titre, de substantielles garanties
juridictionnelles. Pourtant, endossant les positions avancées par les juridictions
constitutionnelles, la littérature scientifique continue de soutenir majoritairement la
thèse de la « neutralité économique » de la Constitution, aussi bien en France qu’en
Allemagne ou qu’en Belgique. Pour tenter de comprendre ce paradoxe apparent
qu’une analyse dogmatique ne suffit pas à lever, il convient d’ouvrir le droit à son
contexte historique, social et intellectuel. L’hypothèse méthodologique à la base de la
recherche était qu’en retraçant l’itinéraire du concept de Constitution économique, en
établissant sa généalogie, il serait éventuellement possible de pénétrer et de mieux
saisir le phénomène de constitutionnalisation économique – et d’éclairer ainsi, de
proche en proche, l’état actuel du droit positif. Prise de manière large, la problématique
sur laquelle éclot la notion de Constitution économique s’énonce comme suit :
comment ordonner juridiquement le domaine social qu’est l’économie lorsque
celui-ci, sous la figure du marché, tend à être représenté comme autonome, objectif
et autorégulé ? Loin d’être uniquement théorique, la problématique se manifeste
aujourd’hui encore dans l’ordonnancement concret de l’économie, de sorte que des
controverses décisives s’en trouvent saisies sous un angle nouveau : Du législateur élu
ou du juge constitutionnel, qui est le Gardien de la Constitution économique ? Entre
les travailleurs et les employeurs (ou leurs représentants), qui doit exercer le pouvoir
au sein des entreprises et jusqu’où ? Pourquoi consacrer dans des normes supra-
législatives une règle d’or d’équilibre budgétaire ou des règles de concurrence ? Quelle
articulation donner des libertés économiques classiques et des droits économiques et
sociaux ? Comment appréhender constitutionnellement les services publics ?
Autant de questions qui font aujourd’hui de la Constitution économique un révélateur
puissant des interactions entre les sphères de l’économie, de la politique et du droit.